Non-binarité et stéréotypes de genre : que faut-il savoir ?

Publié le Jeudi 18 avril 2024

Parmi les pays qui reconnaissent un genre neutre ou un troisième genre dans l’état civil, on compte l’Australie, le Canada, l’Argentine, les États-Unis ou encore le Népal et le Pakistan. En plus de permettre une meilleure reconnaissance des personnes intersexes, cette option reconnaît aussi les personnes non-binaires

Si l’état français ne reconnaît que deux genres, le pronom iel a intégré Le Robert en 2021, et de plus en plus d’organisations s’engagent pour la protection et l’inclusion des personnes LGBTI+ au travail. De l’intégration des pronoms dans les signatures de mail à l’adaptation des locaux (comme la mise en place de toilettes non-genrées), la question du genre au travail tend à être plus prise en compte et mieux appréhendée

Pour autant, la non-binarité reste un aspect méconnu des identités de genre, de même que les manifestations et effets des stéréotypes de genre qui lui sont associés. Au travers de cet article, l’AFMD vous propose de faire le point sur le sujet.   

Non-binarité, de quoi parle-t-on ?

La binarité dans le genre, c’est supposer qu’il existe strictement seulement des femmes et des hommes. Or, la notion de non-binarité réfère à un large prisme d’expériences et d’identités de genre qui s’inscrivent en dehors et/ou à l’intersection de la féminité et de la masculinité.

drapeau non binaire

 

Pour mieux comprendre ces notions, nous pouvons analyser le drapeau de la non-binarité. Il est composé de quatre bandes de couleur (de haut en bas) jaune, blanc, violet et noir. Saviez-vous que chaque couleur a une signification ?

  • Le jaune représente les personnes dont le genre existe en dehors du cadre binaire
  • Le blanc représente les personnes qui s'identifient à plusieurs ou à tous les genres
  • Le violet représente les personnes se situant entre le genre masculin et le genre féminin
  • Le noir représente les personnes sans genre ou de genre neutre

 

Non-binarité et stéréotypes de genre : quelles manifestations ? 

La non-binarité remet en question des normes et les attentes de performance de genre. Cela va à contre-courant de l’injonction à s’inscrire dans une binarité. Comme on peut voir sur le schéma ci-dessous, la non-binarité est un spectre variable à l’intersection entre expression et identité de genre

 

licorne du genre schéma

L'illustration de la « licorne du genre » est tirée de l'e-learning « Reconnaitre les LGBTIPHOBIES au travail et agir » de SOS homophobie et elle est adaptée du site transstudent.org.

Les stéréotypes de genre sont un frein à la compréhension de la notion même de genre. 

Comme nous l’avions vu dans notre dernier ouvrage "Stéréotypes de genre et valeurs professionnelles : les étudiant·es des Grandes écoles ont-ils les mêmes ambitions ?" Jean-Baptiste Legal et Sylvain Délouvée définissent les stéréotypes comme un ensemble de croyances sur des individus ou un groupe d’individus, et qui sont “généralement socialement partagés en ce sens qu’ils sont véhiculés et entretenus par l’environnement social (famille, amis, médias, société)”. Du fait de leur caractère systémique et omniprésent dans la société et des injonctions binaires qu’ils alimentent, les stéréotypes de genre sont sources de préjugés, mais aussi racines de violences. 

En effet, lorsque des discours biaisés par des stéréotypes de genre prennent une tournure essentialiste (c'est-à-dire qu'ils exigent et supposent une cohérence et un alignement entre les caractéristiques biologiques, les comportements et l'identité de genre), cela peut conduire à des jugements erronés, qui sont la base d’un continuum de violences (Kelly, 1987) et qui ont des conséquences graves sur les personnes LGBTI+. 
Par exemple, les personnes transgenres font particulièrement souvent face à des violences transphobes, et cette situation ne s’améliore pas avec le temps. En effet “le rapport 2023 de SOS homophobie sur les LGBTIphobies constate une augmentation de 35% du nombre de cas de transphobie (rejet, insultes, discriminations, agressions physiques…) recensés pour l’année 2022 par rapport aux deux années précédentes.” Il est important de noter que ces violences touchent particulièrement les femmes transgenres racisées, comme le démontrent les statistiques du “Trans Murder Monitoring 2023 Global Update.” 

Ces normes de genre ont un impact sur celles et ceux qui ne s'y conforment pas. Dans le cas de la non-binarité, les stéréotypes de genre se manifestent au travers de deux grandes injonctions :

  • L'injonction à se conformer à une identité et une expression de genre binaire. Les personnes non-binaires sont souvent sommées de « faire un choix » et d'adopter entièrement une identité masculine ou féminine, sans reconnaître leur identité de genre fluide ou en dehors de la binarité.
  • L’injonction à la pédagogie. Souvent, les personnes non-binaires sont confrontées à des situations où elles doivent se justifier devant autrui, faire preuve de pédagogie et de patience. Les personnes non-binaires ne sont pas responsables d'enseigner l'identité de genre à chaque individu qu'elles rencontrent. De nombreuses ressources existent et sont faciles d’accès sur internet (et certaines sont listées dans cet article !). 

À noter : l’injonction à la pédagogie touche tous les groupes oppressés tels que les personnes racisées, les lesbiennes, ou les personnes en situation de handicap.

La notion de passing : l’androgynie comme seule option ? 

L’association Représentrans définit le terme anglais passing comme “le fait de « passer » ou d’être perçu·e, aux yeux des autres, en tant que membre d’un genre dans lequel on n’a pas été élevé·e depuis sa naissance.”
Cette notion est souvent associée à la manière dont une personne présente son apparence, son comportement et son expression de genre pour correspondre à son identité de genre réelle ou désirée.

Pour les personnes non-binaires, qui ne se reconnaissent pas exclusivement comme hommes ou femmes, le passing peut être particulièrement complexe. En raison des attentes sociales basées sur la binarité de genre, les personnes non-binaires peuvent se sentir contraintes de "performer" l’androgynéité ou un genre “neutre”, comme l'illustre ce témoignage :

Étant non-binaire, l’exploration de l’androgynéité m’apporte un sentiment d’alignement, de satisfaction, et d’authenticité. Pourtant, j’apprécie toujours autant des caractéristiques dites féminines ; les vêtements perçus comme genrés féminins, le maquillage... C’est une contradiction qui n’est pas si absurde ; l’expression de genre peut être fluide et variée, et je n’ai pas besoin de m’enfermer dans une case.

En réalité, pas besoin de “passing androgyne” pour être non-binaire : il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon d'être non-binaire, c’est au contraire, tout le but de l’exploration du genre. Il est donc tout à fait possible d'avoir une expression de genre féminine ou masculine en étant non-binaire. Ce serait un stéréotype de genre de dire le contraire, n’est-ce pas ?

Prendre en compte la non-binarité dans le monde professionnel

Les enjeux ayant trait à l'identité de genre au travail sont nombreux. En ce qui concerne la non-binarité, les réflexions peuvent concerner l'utilisation des pronoms (on pourra, par exemple, normaliser le fait de les indiquer sur son badge ou dans sa signature), les espaces de travail (vos bureaux disposent-ils de toilettes non genrées ?), ou encore l'expression de genre (quelles sont les règles vestimentaires, les uniformes sont-ils unisexes, etc...).

Pour mieux inclure les personnes non-binaires et autres personnes de la communauté LGBTI+ au travail, vous pouvez consulter le kit d'inclusion des personnes LGBTI+ au travail.

Le mémo des allié·es 
Prendre en compte la non-binarité et être un·e allié·e passe par des petites choses :

  • Éviter les questions et commentaires indiscrets ou ignorants, comme : "Tu es né(e) fille ou garçon ?" ou "Tu te dis non-binaire mais tu ressembles à une fille, donc je te considère comme telle", car ils sont inappropriés.
  • Ne pas se moquer ni stigmatiser les personnes non-binaires, en évitant les gestes ou les commentaires désobligeants à propos d'elles.
  • Éviter les blagues qui visent à ridiculiser l'identité non-binaire, comme : "Tu n’es ni homme ni femme ? Moi je suis un hélicoptère".
  • Ne pas nier le vécu ou le ressenti des personnes non-binaires. Ne déclarez pas, par exemple, que "la non-binarité n'existe pas".
  • Soyez attentif·ve aux pronoms utilisés par la personne non-binaire. Chaque individu peut avoir des pronoms différents. Si nécessaire, demandez à la personne quels pronoms elle préfère.
  • Ne pas hésiter à intervenir si vous êtes témoin d'un comportement ou de propos discriminants. Par exemple, exprimez clairement votre désaccord en disant : "Je pense que ce que tu viens de dire est insensible et discriminant envers les personnes non-binaires".
  • Utiliser un langage inclusif pour toujours reconnaître la possibilité d'autres genres que celui de femme et d'homme. Par exemple, utilisez des formulations telles que "mesdames, messieurs, et autres convives".

Pour aller plus loin en tant qu'allié·e, partagez des ressources informatives et sensibilisez à la réalité des personnes non-binaires. Prenez également le temps d'intégrer cette thématique dans les discussions professionnelles et personnelles.


Ressources :  

  • AFMD, SOS homophobie, (2022) Kit d’inclusion des personnes LGBTI+ au travail 
  • E. Brown, A. Debauche, A. Mazuy (2021) Genre et continuum des violences. Collection : Grandes Enquêtes  
  • J. Legal, S. Délouvée (2021) Stéréotypes, préjugés et discriminations, Dunod «Les Topos»
  • L. Kelly (1987) « The Continuum of Sexual Violence », dans Women, Violence and Social Control. Atlantic Highlands, Humanities Press International
  • R. A. Briggs and B. R. George (2023) What Even Is Gender? Abingdon, Oxon: Routledge 
  • TGEU (Transgender Europe) (2023) Trans Murder Monitoring 2023 Global Update  
  • Podcast : BBC Sounds : NB : My No-Binary Life  
  • La banque d'images de VICEThe Gender Spectrum Collection. En 2019, après avoir constaté que les banques d'images ne permettaient pas de représenter les personnes trans et non-binaires, VICE a créé cette collection d'images libres de droit. L'objectif du projet est d'encourager la représentation des personnes trans et non-binaires dans les médias sans les résumer à leur identité de genre : la collection couvre des thèmes allant de la carrière aux activités récréatives en passant par la sphère familiale. La photographie illustrant cet article est tirée de la collection.