« Pour pouvoir comprendre un sujet, il faut écouter les personnes concernées ! »
Interview de Julien Hamy, Co-Responsable du projet Rôles Modèles LGBT+ et Allié·es 2024 de L’Autre Cercle

Interview de Julien Hamy, Co-Responsable du projet Rôles Modèles LGBT+ et Allié·es 2024 de L’Autre Cercle : « Pour pouvoir comprendre un sujet, il faut écouter les personnes concernées. »
Julien Hamy est Directeur grands projets pour la Fédération Nationale de L’Autre Cercle.
Le 2 octobre prochain, vous célébrez la sixième édition des Rôles Modèles : comment ce projet a-t-il commencé, pourquoi est-ce qu’il continue aujourd’hui ?
La raison d’être de notre association, c’est de favoriser l’inclusion des personnes LGBT+ dans le monde professionnel. Le projet des Rôles Modèles est inspiré d’une initiative similaire en Angleterre, portée par Outstanding en partenariat avec le Financial Times.
Nous avons voulu mettre en lumière les personnes concernées, visibles et engagées, mais aussi les allié·es qui agissent à leurs côtés. Nous avons besoin de ces personnes qui représentent près de 90% de la population !
La première cérémonie a eu lieu au Studio 104, à la Maison de la radio, devant 700 personnes : on s’attendait à deux fois moins ! Au-delà de l’engouement pour le projet, ce qui a marqué les esprits, c’était les témoignages.
« Pour pouvoir comprendre un sujet, il faut écouter les personnes concernées. »
L’essence des Rôles Modèles, c’est ça : faire la part belle à des témoignages qui émeuvent et qui montrent la richesse des parcours de vie. C’est une source d’inspiration pour les personnes LGBT+, pour leur dire qu’être « visible » n’est pas un frein. 450 rôles modèles ont été désigné·es depuis la première édition : c’est autant de possibilité de témoignages, de relais dans les organisations…
Sur les cinq premières éditions, nous avions pour objectif d’avoir 100 rôles modèles à l’année, nous rêvions d’une communauté de 1000 personnes ! Cette année marque une approche différente et un retour aux sources, plus qualitative que quantitative, avec l’accent mis sur des témoignages et l’impact des actions déployées.
Sur quels critères sont sélectioné·es les Rôles Modèles ?
On attend des Rôles Modèles qu’ils, elles et iels favorisent l’inclusion grâce à leur engagement, leurs actions. Pour nous, ce sont des personnes qui deviennent une source d’inspiration et qui aident à faire changer les mentalités. Les dossiers de candidatures sont constitués des témoignages de personnes qui nous parlent d’un·e collègue, d’un membre de sa famille, d’un·e ami·e…
Pour cette sixième édition, nous avons recueilli un témoignage global mais également des éléments sur les actions spécifiques menées par les personnes nominées dans et hors du travail, sur l’impact de ces actions sur l’organisation, le collectif de travail…Nous avons aussi demandé aux témoins ce qu’ils et elles souhaitaient dire de personnel à la personne nominée : c’est dans ces réponses que nous avons pris la mesure de l’impact que ces personnes peuvent avoir sur leur entourage.
Comment mesurez-vous l’impact de cette démarche, de la nomination à la Cérémonie en passant par la communication ?
Nous portons ce programme avec la conviction que nous agissons pour une cause, donc l’impact n’est pas une notion centrale : on continuerait même si on n’en avait peu, parce que c’est important pour nous de le faire. Et après six éditions, nous avons pour projet de lancer une communauté de rôles modèles, pour les rassembler et partager les bonnes pratiques, mentorer, accompagner… L’impact se voit aussi à travers le rayonnement que ces ambassadeurs et ambassadrices sont amené·es à avoir dans le milieu professionnel.
Vous travaillez, entre autres, sur la visibilité des femmes lesbiennes1, qui vivent des expériences spécifiques au croisement du sexisme et de l’homophobie : comment adressez-vous les discriminations multiples concernant les rôles modèles ?
En 2020, la cérémonie a pris la forme d’une émission digitale, retransmise depuis une salle de cinéma à Paris. Une personne lauréate a exprimé sa surprise sur le fait qu’il n’y avait que très peu de personnes racisées présentes. L’intersectionnalité, c’est un de nos enjeux : nous savons qu’il y a un sujet de représentativité des personnes LGBT+ racisées, porteuses d'un handicap… On a le même sujet pour la visibilité des femmes, des personnes trans, et des personnes non-binaire.
D’ailleurs, on a aussi très peu de profils hors de l’Île-de-France, alors qu’on sait bien que les personnes engagées sont présentes dans toute la France !
« Il n’y a pas d’injonction à la visibilité, mais on veut montrer aux personnes qu’elles peuvent être visibles, qu’elles n’ont pas à mettre une partie de leur vie entre parenthèses. »
L’association a beaucoup évolué ces dernières années et représente désormais la richesse de la population : des jeunes, des personnes plus expérimentées, qu’iels soient en recherche d’emploi ou même retraité·es… Nous sommes soucieuses et soucieux de mettre en lumière tous les profils, toutes les expériences. C’est d’ailleurs ce que nous avons cherché à faire dans le documentaire « Rôles modèles | Quand le courage inspire », et le message choisi pour la cérémonie du 2 octobre.
Au-delà de la visibilité apportée par les rôles modèles, comment aller plus loin pour garantir l’inclusion des personnes LGBT+ au travail ?
C’est important de rappeler que ne pas être visible, c’est renoncer : à parler de son ou sa conjoint·e, à l’inclure sur la mutuelle, à participer à des évènements informels… Ensuite, se rendre visible c’est une chose, agir c’est encore mieux ! On peut par exemple intervenir lorsqu’on est témoin d’une situation qui n’est pas acceptable.
On peut aussi agir sur les représentations : avec des évolutions comme le mariage pour tous et l’accès à la PMA, la visibilité des personnes LGBT+ tend à devenir un non-sujet. Pour autant, on reproche parfois aux personnes LGBT+ qui parlent de leur vie personnelle de faire du militantisme, alors que ça n’en est pas ! La formation des managers est essentielle pour créer un cadre de travail bienveillant : c’est aussi pour ça que nous avons étendu nos actions à l’enseignement supérieur, pour former les managers de demain.
Comment dépasser le biais inhérent des rôles modèles de montrer des personnes influentes, « qui ont réussi », là où ce n’est pas une trajectoire de vie accessible à toutes et tous ?
C'est important aussi de valoriser des personnes qui ne sont pas du tout dans des instances de direction ou qui travaillent dans des petites structures. Les critères et les modes d’engagement ne sont pas les mêmes. Ces personnes font parfois bien plus que celles dans les grandes entreprises.
Le rôle des dirigeant.es est de montrer la voie, de porter la parole et d’incarner les valeurs de l’organisation. Mais la « cheville ouvrière » sont celles et ceux qui mènent les actions, et qui, souvent, ont introduit le sujet dans l’organisation. Pas besoin d’occuper un poste à responsabilité ! Et au-delà du poste occupé dans l’organisation, nous avons envie de montrer que ces sujets peuvent être pris sous l’angle de l’orientation affective et concernent la famille, la parentalité, le mariage… La visibilité, c’est aussi montrer que nous sommes des personnes « comme tout le monde. »
Que souhaites-tu que les lecteurs et lectrices retiennent concernant l’importance des rôles modèles ?
Le symbole derrière les rôles modèles, c’est de dire que toutes les personnes engagées le sont. Je parle de toutes celles et ceux qui prennent le temps d’écouter les autres, de faire en sorte qu’on vive mieux ensemble, qu’on agisse… Et il faut continuer, parce qu’il y aura toujours des choses à faire, mais je veux leur dire bravo !
J’invite aussi les lecteurs et lectrices à découvrir nos autres actions : l’accompagnement et la formation, la Charte d’engagement LGBT+, mais aussi notre baromètre bisannuel grâce auquel nous observons et mesurons la perception des personnes concernées.