Les générations existent-elles vraiment ?

Publié le Jeudi 7 mars 2024

« Générations X, Y, Z : qui êtes-vous, comment travaillez-vous ? », « Comment faire cohabiter plusieurs générations sur un même open-space ? », « Future of work et reverse-mentoring : une affaire de générations »…
La question générationnelle a inondé nos écrans et nos organisations. Mais, en fait, c’est quoi « une génération » ?

Prenons un pas de côté avec Gérard Mauger, sociologue, Directeur de recherche au CNRS, et demandons-nous quelles sont les implications de l’usage du terme « génération ». 

Dans son ouvrage Ages et générations*, Gérard Mauger note tout d’abord que ces notions sont liées à la nécessité de toute société à se reproduire : d’une part, biologiquement et, indissociablement, en reproduisant les structures sociales sur lesquelles elle est construite.

L’usage de la notion de génération est souvent confus, notamment car ce terme recouvre deux réalités à distinguer : la « génération familiale » et la « génération sociale ». C’est cette dernière qui nous intéresse ici et elle peut se définir comme un « groupe d'hommes appartenant à des familles différentes dont l'unité résulte d'une mentalité particulière et dont la durée embrasse une période déterminée »**.

Selon Gérard Mauger l’apparition de générations sociales dépend des transformations du mode de reproduction dominant. De ce fait, on circonscrit souvent une génération sociale à une classe sociale ou à un espace social donné. Néanmoins, un « évènement fondateur » peut également être au principe de leur apparition – nous en verrons 3 exemples plus bas.

Karl Mannheim et Marc Bloch on une approche semblable de la génération sociale : des groupes nés dans une même ambiance sociale, à des dates voisines. Selon eux, les membres de ces groupes vivent nécessairement, en particulier dans leur période de formation, des influences analogues. De ce fait, leur comportement présenterait, par rapport aux groupes sensiblement plus vieux ou plus jeunes, des traits distinctifs.

Dans cette acceptation de la notion, l’apparition de nouvelles générations suppose celles de cadres de socialisation distincts (famille, école, emploi, etc.). Pour qu’il y ait un changement de génération sociale il faut donc une forte évolution ou une rupture totale dans ces cadres de socialisation

D’autre part, s’il y a transformation ou rupture des cadres de socialisation, elles n’ont pas les mêmes effets sur les différentes « régions » de l’espace social : un changement abrupt de fonctionnement dans l’école publique n’aura pas le même impact sur les enfants de cadres supérieurs et sur les enfants d’ouvriers, par exemple. 

En termes d’évènements fondateurs, ils peuvent être de diverses natures mais la sociologie en recense 3 types principaux :
-    les révolutions
-    les guerres
-    les crises politiques qui ébranlent plus ou moins durablement l'ordre social 

Autant dire, donc, que définir une génération n’est pas chose aisée. Suzy Canivenc, chercheure aux Mines Paris explique que l’on « définit la génération Z comme un groupe d’individus nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010. Les dates peuvent varier d’une classification à l’autre : la plupart des définitions de la génération Z la font débuter en 1997, mais d’autres mentionnent également 1996 ou encore 1995 »***. La chercheure elle-même, née en 1980 ne sait pas si elle appartient aux X ou aux Y et pourtant, selon que l’on prenne l’une ou l’autre, « les caractéristiques qui lui seront attribuées seront assez différentes, notamment pour ce qui concerne son rapport au travail… »***.

Par ailleurs, les recherches qui s’intéressent à l’évolution des valeurs des personnes du même âge à différentes périodes (par exemple, les attentes professionnelles des jeunes de 20 ans nés en 1960, 1980 ou 2000) n’identifient pas de ruptures culturelles opposant des générations.

Les discours sur les différences entre les générations sont donc à prendre avec des pincettes, comme l’illustre, par exemple, le rapport 2024 du HCE. A rebours de l’idée selon laquelle les jeunes générations d’hommes seraient plus ouvertes à l’égalité femmes-hommes, on voit qu’en réalité seuls 35% des hommes de 25‑34 ans considèrent anormal qu’un homme ait un salaire supérieur à celui de sa collègue à poste égal.

Attention, donc, à ne pas ranger les classes d’âges dans des cases ! En fonction de son origine sociale, son genre, son origine culturelle, etc. on peut appartenir à une même classe d’âge sans en partager les traits qui lui sont imputés. 
 

* Mauger Gérard, Âges et générations. Paris, La Découverte, « Repères », 2015

** Mentre François, Les générations sociales, Editions Bossard, 1920

*** Canivenc Suzy, « La génération Z ceci, la génération Z cela… » : mais au fait, qu’est-ce qu’une génération ?, The Conversation, janvier 2024