« Faire famille » : dépasser les normes administratives dans la reconnaissance des partenaires de vie

Publié le Lundi 17 novembre 2025

Qu'est-ce que c'est, "une famille" ? 

Si on peut espérer que la définition conservatrice "un papa, une maman" n'est qu'un lointain souvenir, force est de constater que les nombreuses façons de faire famille rendent la réponse un peu complexe : des mères isolées aux co-parents, en passant par les familles recomposées, difficile d'en déterminer les contours avec précision. Pourtant, l'enjeu pour les organisations de questionner cette définition est grand : comment s'assurer que toutes et tous bénéficient des mêmes droits, au-delà d'un statut administratif qui parfois ne reconnait pas les dynamiques de care et d'entraide qui s'opèrent entre plusieurs personnes ?

Comment dépasser les obligations légales et élargir les imaginaires pour accompagner la multitude des dynamiques ?

Des définitions de l’INSEE…

Avant août 2025 : 
« Une famille est la partie d'un ménage comprenant au moins deux personnes et constituée :

  • soit d'un couple vivant au sein du ménage, avec le cas échéant son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage ;
  • soit d'un adulte avec son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage (famille monoparentale).

Pour qu'une personne soit enfant d'une famille, elle doit être célibataire et ne pas avoir de conjoint ou d'enfant faisant partie du même ménage.
Un ménage peut comprendre zéro, une ou plusieurs familles. »

Après août 2025 :
« Une famille, au sens de l’analyse ménages-familles, est constituée par des personnes d’un même ménage qui forment un couple, avec ou sans enfant, ou une famille monoparentale. »

Un « ménage » est défini par l’INSEE comme comprenant deux dimensions : l’une qui le présente comme une « unité de vie1 » et l’autre comme un « logement2 ».

… à une acception plus large 

« Chacun peut avoir son idée sur la façon de faire famille, mais ce n’est pas le propos de l’État. » 
Alors Ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, lors d’une interview au magazine Têtu, parle en 2012 de « faire famille ». Plutôt que de fonder une famille, cette expression met en lumière le « processus opératoire, dynamique et symbolique, qui demeure, en fait, la véritable institution ‘famille’, alors que la société définit la famille par l’établissement des états civils de chacun. » (Fleury, 2024).

L’étude de la famille sous le prisme des sciences sociales souligne à quel point le « système familial » est sujet de processus relationnels et symboliques et de configurations émotionnelles : au-delà de la définition civile ou administrative des liens familiaux (mariage, parentalité…), on voit bien ici l’étendue, la complexité et la richesse des expériences de vie qui définissent ce qu’est une famille au sens de « constellation affective ». (Caillé, 2010).

La philosophe Cynthia Fleury le résume bien : « […] ce qui est déterminant dans la « famille », ce n’est pas ce que la société définit comme tel, mais précisément la qualité des relations symboliques tissées entre les personnes, ou ce que l’on pourrait nommer l’implication de la volonté, le travail, l’œuvre, l’effort, précisément la médiation et non le seul biologique. » (Fleury, 2024).

À quoi sert une famille ?

Au-delà de toute tentative de définition, le rôle que joue « la famille » dans une société varie selon les époques et les courants doctrinaux en termes de politiques publiques. Elle peut donc, tour à tour, être entendue comme « une institution essentielle à la structuration de la société et à la transmission des valeurs3 », comme « une entité seconde associant des individus libres et égaux en droit4 » voire, dans les théories anarchistes, comme « une matrice idéologique, matérielle et juridique à plusieurs facettes » (Lewis, 2024). 
Ainsi, la construction de « la famille » et de sa fonction a pu relever d’organisations sociales, culturelles et/ou religieuses. Elle allait de pair avec une conception rigide des rôles genrés en termes de conjugalité, de parentalité, et d’organisation du travail.

En observant l’élargissement des liens familiaux et l’évolution des rôles familiaux, le professeur de psychologie Salvatore D’Amore explique ce qui se joue lorsque que « l’institution familiale » se transforme :

« La famille traditionnelle est considérée depuis toujours comme la garante de l’ordre social et la cellule fondamentale de la société. Dès lors qu’elle se transforme, elle remet en question le concept même de société, ses modèles culturels, ses valeurs, ses mythes et ses croyances. En outre, les sociétés occidentales ont perpétué l’image de la famille intacte, solide et multigénérationnelle qui s’accommode mal de la diversité actuelle des structures et des rôles. » 
(D’Amore, 2010).

En amont des débats et des tensions autour de la loi sur le Mariage pour tous en 2013, on comprend ici en quoi la famille peut être érigée comme pilier de l’ordre social et peut être perçue comme un objet « à défendre » en ce qu’il relève de la construction d’une identité nationale.

Les « nouvelles familles » au travail

Ces dernières années, les employeurs ont élargi et étoffé leurs politiques familiales : prise en compte des aidant‧es et de l’homoparentalité, accompagnement des parents (aide aux devoirs, places en crèches…). Pour autant, les façons de faire famille se multiplient : de l’expérience des mères isolées aux réflexions sur la place de l’amitié au sein des relations5, apparaissent de nombreuses situations qui ne rentrent pas expressément dans les politiques familiales des organisations. Celles-ci, comme les politiques publiques, ont une portée normative qui peut être à rebours des évolutions sociales.

Ainsi, il appartient aux employeurs de se questionner sur la portée et l’ambition des politiques familiales. Plutôt que de normaliser/valoriser les systèmes familiaux « traditionnels », il peut être plus intéressant de penser la reconnaissance des membres d’une famille en considérant leur statut relationnel plutôt qu’administratif. 
Penser les besoins des collaborateurs et collaboratrices à l’aune des responsabilités qu’ils et elles ont vis-à-vis de leurs proches (parents, enfants, mais aussi ami‧es...) permet de penser des politiques plus transverses, qui ne fixent pas un cadre dont on serait tenté‧es de sortir dès qu’une exception se présente. 

De faire famille à « faire tribu6 », la reconnaissance de ce qui nous lie dépasse largement le monde du travail et il y a (presque) tout à penser sur ce sujet : allons-y !
 

Bibliographie 

  • Caillé, Philippe. « Chapitre 3. Vous avez dit famille... Famille traditionnelle ou constellation affective ? ». Les nouvelles familles Approches cliniques, De Boeck Supérieur, 2010. p.71-91.
  • Fleury, Cynthia. « Faire famille ». Esprit, 2024/1 Janvier-Février, 2024. p.109-115.
  • D’Amore, Salvatore. « Chapitre 1. Univers ou multivers familial ? Les nouvelles familles entre continuité et changement ». Les nouvelles familles Approches cliniques, De Boeck Supérieur, 2010. p.35-51.
  • Entretien avec Lewis, Sophie., et al. « De la reconnaissance du travail gestationnel à l’abolition de la famille ». Journal des anthropologues, 2024/1 n° 176-177, 2024. p.183-198. 
     

Notes

1 : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2356  
2 : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2355 
3 : https://www.vie-publique.fr/eclairage/20145-etat-securite-sociale-unaf-les-acteurs-de-la-politique-familiale 
4 : Ibid.
5 : À ce sujet, lire « Nos puissantes amitiés. Des liens politiques, des lieux de résistance » par Alice Raybaud (2024).
6 : À ce sujet, lire « Faire tribu », par Hugo Paul (2025).